Publié le 15 mars 2024

En résumé :

  • La brevetabilité de votre invention repose sur trois critères stricts au Canada : la nouveauté, l’utilité et la non-évidence.
  • Une recherche d’antériorité exhaustive est l’étape non-négociable pour éviter un rejet et des coûts inutiles.
  • Le choix entre une demande provisoire et une demande complète est une décision stratégique qui dépend de votre maturité technique et de votre budget.
  • La divulgation prématurée de votre invention peut anéantir vos chances d’obtenir un brevet, sauf dans le cadre du délai de grâce canadien d’un an.
  • Considérer le brevet non comme une fin, mais comme un actif stratégique au service de la croissance de votre entreprise.

Le moment « Eurêka » est une expérience unique. Pour un inventeur, un ingénieur ou un chercheur, voir une solution technique prendre forme est l’aboutissement de mois, voire d’années de travail. Vient alors une question cruciale et angoissante : comment protéger cette idée pour qu’elle ne soit pas copiée ou exploitée par d’autres ? La réponse qui vient immédiatement à l’esprit est « déposer un brevet ». Beaucoup perçoivent ce processus comme une simple formalité administrative, un formulaire à remplir pour obtenir un tampon officiel. Ils pensent qu’il suffit d’avoir une idée brillante et de la décrire sur papier.

Cependant, cette vision est une simplification dangereuse. La réalité du dépôt de brevet au Canada est bien plus complexe et ressemble davantage à une partie d’échecs qu’à une simple course de fond. Chaque étape, de la validation initiale à la rédaction finale, est un arbitrage stratégique qui peut déterminer la valeur future de votre invention. Le véritable enjeu n’est pas seulement d’obtenir un brevet, mais d’obtenir un brevet solide, défendable et qui sert réellement vos objectifs commerciaux.

Cet article abandonne l’approche purement légale pour vous offrir une perspective de stratège. Nous allons décomposer ce « parcours du combattant » non pas comme une liste de règles, mais comme une série de décisions critiques. L’objectif est de vous armer pour transformer votre invention d’une simple idée en un actif immatériel puissant, capable de devenir une véritable arme stratégique pour votre projet ou votre entreprise.

Pour naviguer ce processus complexe, cet article est structuré pour vous guider pas à pas, de la validation de votre idée à la construction d’une véritable stratégie de propriété intellectuelle. Le sommaire ci-dessous vous donne un aperçu des carrefours décisionnels que nous allons explorer ensemble.

Votre invention est-elle vraiment « brevetable » ? Les 3 tests à passer absolument

Avant même de penser à rédiger une demande, la première question fondamentale est de savoir si votre invention a une chance réaliste d’être brevetée. Beaucoup d’inventeurs pensent qu’il faut avoir réinventé la roue, mais la réalité est plus nuancée. En effet, environ 90% des brevets sont accordés pour des améliorations à des inventions déjà existantes. L’innovation incrémentale est donc au cœur du système. L’exemple de l’inventeur québécois Jean Saint-Germain est éclairant : il a conçu un biberon anti-coliques en améliorant un objet existant pour résoudre un problème précis, illustrant parfaitement qu’une solution ingénieuse à un problème connu peut être une invention majeure.

Pour être brevetable au Canada, votre invention doit passer avec succès trois tests cumulatifs. Il ne s’agit pas de suggestions, mais de conditions strictes évaluées par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Manquer un seul de ces critères rendra votre demande caduque.

  • La nouveauté : L’invention ne doit jamais avoir été divulguée publiquement, nulle part dans le monde, avant votre date de dépôt. Cela inclut les articles scientifiques, les présentations en conférence, les sites web et même les ventes. Elle doit être absolument nouvelle.
  • L’utilité : L’invention doit avoir une application concrète et fonctionnelle. Il doit exister un bénéfice pratique, souvent de nature économique. Autrement dit, quelqu’un, quelque part, devrait être prêt à payer pour l’utiliser. Une pure théorie sans application ne suffit pas.
  • La non-évidence (ou activité inventive) : C’est le critère le plus subjectif et le plus difficile à évaluer. Une personne « versée dans l’art » (un expert du domaine) ne doit pas considérer votre solution comme une étape logique ou évidente à partir des connaissances existantes. L’invention doit comporter un « éclair de génie », si minime soit-il.

Ces trois piliers forment le premier filtre de votre projet. Une évaluation honnête et rigoureuse à ce stade précoce est la décision la plus économique que vous puissiez prendre, vous évitant de vous engager dans un processus coûteux voué à l’échec.

L’étape que vous ne devez jamais sauter : la recherche d’antériorité

Une fois que vous avez la conviction que votre invention répond aux trois critères de base, la tentation est grande de se lancer directement dans la rédaction de la demande. Ce serait une erreur coûteuse. La recherche d’antériorité (ou « prior art search ») est sans doute l’investissement le plus rentable de tout le processus de brevet. Son but est de chercher activement des preuves qui pourraient invalider le critère de nouveauté ou de non-évidence de votre invention. En d’autres termes, il s’agit de jouer l’avocat du diable contre votre propre idée.

Cette recherche consiste à fouiller méticuleusement les bases de données de brevets, les publications scientifiques et toute autre source d’information publique. L’objectif est de trouver des inventions, des articles ou des produits existants qui sont identiques ou très similaires au vôtre. La Base de données sur les brevets canadiens de l’OPIC, qui contient des documents depuis 1869, est un point de départ essentiel, mais la recherche doit être mondiale.

Vue macro d'une loupe examinant des documents de recherche de brevets

L’importance de cette démarche est confirmée par les professionnels du domaine. Comme le souligne Louis-Pierre Gravelle, associé du cabinet d’avocats Bereskin & Parr à Montréal, les examinateurs de l’OPIC procèdent exactement de la même manière :

Afin de déterminer si l’invention est nouvelle et non évidente, les examinatrices et examinateurs de l’office des brevets effectuent une recherche parmi les demandes de brevets antérieures et les brevets accordés dans le monde entier pour voir si quelqu’un d’autre a déjà déposé une demande identique ou proche de celle-ci.

– Louis-Pierre Gravelle, Associé du cabinet d’avocats Bereskin & Parr à Montréal

Effectuer cette recherche en amont vous offre plusieurs avantages stratégiques. Premièrement, si vous trouvez une antériorité bloquante, vous économisez les milliers de dollars d’une demande de brevet vouée à l’échec. Deuxièmement, les documents que vous trouvez vous aident à mieux définir ce qui est véritablement unique dans votre invention, vous permettant de rédiger des revendications plus solides et plus précises. Ignorer cette étape, c’est naviguer à l’aveugle et espérer que l’examinateur de l’OPIC ne trouve rien, une stratégie extrêmement risquée.

Demande de brevet provisoire ou complète : laquelle choisir pour démarrer ?

Après avoir validé la brevetabilité potentielle et mené une recherche d’antériorité, vous faites face à un premier arbitrage stratégique majeur : faut-il déposer une demande de brevet « provisoire » ou s’engager directement dans une demande complète ? Au Canada, il n’existe pas de « demande provisoire » comme aux États-Unis, mais une pratique similaire consiste à déposer une demande de brevet non formelle et incomplète qui établit une date de dépôt (la « date de priorité »), puis de la compléter dans les 12 mois.

Opter pour une demande initiale simplifiée permet de sécuriser rapidement une date de priorité à moindre coût, vous donnant un an pour peaufiner l’invention, tester le marché ou chercher du financement avant d’engager les frais plus substantiels de la demande complète. Cependant, cette demande initiale doit déjà décrire l’invention de manière suffisamment claire et complète. Une description trop vague ne pourra pas soutenir les revendications détaillées de la demande finale.

La demande complète, quant à elle, est un document technique et juridique complexe qui doit être préparé avec une rigueur extrême. Les coûts associés ne sont pas négligeables et ont connu des évolutions récentes. Il est crucial pour un inventeur de bien les anticiper. Une analyse récente des coûts met en lumière les différents postes de dépenses à prévoir pour une demande standard au Canada.

Coûts réels d’une demande de brevet au Canada (2024)
Type de frais Montant Détails
Préparation et rédaction 6 000 𝑎 ˋ 12000 Variable selon la complexité technologique
Frais d’examen OPIC 1 110 Tarif standard 2024 (augmentation de 36% vs 2023)
Définition petite entité Moins de 100 employés Élargissement depuis janvier 2024 (avant: 50 employés)

Il est à noter que, depuis janvier 2024, la définition de « petite entité » (qui bénéficie de tarifs réduits) a été élargie aux entreprises de moins de 100 employés. De plus, les frais gouvernementaux ont augmenté significativement ; par exemple, une augmentation de 36% a été appliquée aux frais d’examen standards en 2024. Cet arbitrage entre une demande initiale rapide et une demande complète et coûteuse doit être fait en considérant votre maturité technologique et votre stratégie financière.

Votre feuille de route après le dépôt de la demande au Canada

  1. Accusé de réception : Attendez le certificat de dépôt, généralement reçu sous 15 jours ouvrables. Cela confirme que votre dossier est ouvert, mais ne garantit en rien l’octroi du brevet.
  2. Requête d’examen : Vous avez un délai de quatre ans à compter de la date de dépôt pour formellement demander l’examen de votre demande par l’OPIC. C’est une étape active de votre part.
  3. Dialogue avec l’examinateur : Préparez-vous à un échange itératif. Il y a généralement deux à quatre rapports d’examen où l’examinateur soulève des objections et où vous devez argumenter ou modifier vos revendications pour atteindre un consensus.
  4. Maintien en état : Anticipez le paiement des taxes annuelles pour maintenir votre demande, puis votre brevet, en vigueur tout au long du processus et après son octroi.
  5. Stratégie internationale : Si vous visez d’autres marchés, n’oubliez pas que vous avez 12 mois à partir de votre date de priorité pour étendre votre protection à l’international via le Traité de coopération en matière de brevets (PCT).

Le « péché mortel » de l’inventeur : parler de son invention avant de la protéger

L’enthousiasme de l’inventeur est à la fois son plus grand moteur et son plus grand risque. Une fois la solution trouvée, l’envie de la partager, de chercher des partenaires, ou de la présenter à des clients potentiels est immense. Cependant, toute divulgation publique de votre invention avant d’avoir déposé au moins une première demande de brevet peut être fatale. Dans la plupart des pays du monde, notamment en Europe, une telle divulgation détruit irrémédiablement le critère de nouveauté et rend l’obtention d’un brevet impossible.

Heureusement, la législation canadienne et américaine offre une bouée de sauvetage. Tel que rappelé par les règles sur les brevets d’inventions de l’UQAC, il existe un délai de grâce d’un an. Cela signifie que si vous (l’inventeur) divulguez votre invention, vous disposez d’une période d’un an à compter de cette première divulgation pour déposer votre demande de brevet au Canada ou aux États-Unis. Passé ce délai, vos propres actions se retourneront contre vous et serviront de preuve d’antériorité.

Attention, ce délai de grâce est un filet de sécurité, pas une stratégie. Il ne s’applique pas universellement et vous ferme les portes de nombreux marchés internationaux. De plus, il comporte un piège majeur : il ne vous protège que de vos propres divulgations. Comme le précise une analyse des risques liés à la divulgation publique, si un tiers divulgue des informations sur votre invention avant votre date de dépôt, même après que vous ayez vous-même fait une première divulgation, cette information peut être utilisée contre votre demande. Le délai de grâce est donc une protection fragile.

La règle d’or est donc la confidentialité absolue. Si vous devez absolument discuter de votre invention avec un partenaire potentiel, un fabricant ou un investisseur avant d’avoir déposé une demande, faites-le systématiquement sous le couvert d’un accord de non-divulgation (NDA). Cet accord écrit crée une obligation légale de confidentialité pour votre interlocuteur et empêche que votre conversation soit considérée comme une divulgation publique. Ne jamais se fier à une promesse verbale. Le silence est votre meilleur allié jusqu’à ce que votre date de priorité soit solidement établie.

Vous êtes accusé de contrefaçon de brevet (ou vous voulez le faire) : que contient la lettre et comment réagir ?

Obtenir un brevet n’est pas la fin de l’histoire ; ce n’est que le début. Un brevet est un droit d’interdire aux autres d’exploiter votre invention, mais c’est à vous, le titulaire, de faire respecter ce droit. Inversement, vous pourriez un jour être de l’autre côté de la barrière, accusé de violer le brevet de quelqu’un d’autre. Dans les deux cas, le processus commence souvent par une « lettre de mise en demeure ».

Si vous êtes le titulaire du brevet, cette lettre est votre première arme. Elle informe le contrefacteur présumé de l’existence de votre brevet, identifie les produits ou procédés qui, selon vous, enfreignent vos droits, et exige la cessation de ces activités. Si vous recevez une telle lettre, ne paniquez pas, mais ne l’ignorez surtout pas. Elle peut être le prélude à une action en justice. La première étape est de contacter un avocat spécialisé en propriété intellectuelle pour analyser la situation. Il examinera la validité du brevet invoqué et le comparer au produit que vous commercialisez pour déterminer s’il y a réellement contrefaçon.

Composition symbolique montrant l'équilibre entre innovation et protection juridique

La notion de contrefaçon est clairement définie. Comme le résume la Banque de Développement du Canada (BDC), elle survient lorsqu’une partie non autorisée s’approprie les droits exclusifs conférés par le brevet.

Il y a contrefaçon de brevet si quelqu’un fabrique, utilise ou vend votre invention sans votre autorisation dans un pays qui vous a octroyé un brevet. Vous avez le droit d’intenter une action en dommages-intérêts si vous pensez qu’il y a eu contrefaçon de votre brevet. Il est préférable de communiquer avec une avocate ou un avocat spécialiste du droit des brevets.

– Banque de Développement du Canada, Guide sur l’obtention d’un brevet au Canada

La contrefaçon ne se limite pas à une copie carbone. Elle peut aussi concerner des produits qui, sans être identiques, reprennent les éléments essentiels et inventifs décrits dans les revendications de votre brevet. C’est la portée de ces revendications, la partie la plus critique de votre demande de brevet, qui déterminera la force de votre position. Une défense face à une accusation de contrefaçon peut impliquer de prouver que votre produit est différent, ou même de contre-attaquer en démontrant que le brevet qu’on vous oppose n’est pas valide (par exemple, en trouvant une antériorité que l’examinateur avait manquée).

Faut-il breveter votre invention ou la garder secrète ? Le dilemme qui peut changer votre avenir

Le brevet est souvent vu comme le Saint-Graal de la protection, mais est-ce toujours la meilleure option ? Cet arbitrage entre la protection par brevet et le maintien du secret commercial est l’une des décisions les plus stratégiques qu’un inventeur ou une PME puisse prendre. Comprendre les implications de chaque voie est fondamental.

Le brevet vous offre un monopole d’exploitation légalement reconnu pour une durée limitée. Au Canada, la protection dure généralement 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande. En échange de ce monopole, vous devez divulguer entièrement votre invention au public dans le document de brevet. Une fois le brevet expiré, l’invention tombe dans le domaine public, et n’importe qui peut l’utiliser librement. C’est le grand compromis : une protection forte mais temporaire contre une divulgation complète et permanente. Comme le souligne une analyse sur la durée des brevets, après expiration, l’invention devient accessible à tous, même si des stratégies de marques de commerce peuvent parfois prolonger un certain avantage concurrentiel.

L’alternative est le secret commercial. Pensez à la recette du Coca-Cola. Il s’agit de garder votre invention confidentielle. L’avantage ? La protection peut durer éternellement, tant que le secret est gardé. L’inconvénient majeur ? Il n’offre aucune protection contre l’ingénierie inverse (si quelqu’un démonte votre produit et comprend comment il fonctionne) ou contre le développement indépendant (si quelqu’un d’autre a la même idée que vous). Si votre secret est découvert légitimement, vous n’avez aucun recours.

Le choix dépend crucialement de la nature de votre invention. Si elle est facilement identifiable en analysant le produit final, le brevet est probablement la seule voie viable. Si, au contraire, l’invention réside dans un procédé de fabrication interne ou une formule chimique difficile à déceler, le secret commercial peut être une option puissante. Cette décision doit être guidée par une vision d’investissement, comme le conseille l’expert Louis-Pierre Gravelle :

Un brevet doit être considéré comme étant un rendement du capital investi, et comme une source de revenus. Un brevet doit faire l’objet d’une évaluation comme tout autre type d’investissement.

– Louis-Pierre Gravelle, Associé, Bereskin & Parr, Montréal

Qu’est-ce qui fait d’une information un « secret commercial » aux yeux de la loi ?

Si l’option du secret commercial vous semble pertinente, il est crucial de comprendre que ce n’est pas un statut automatique. Pour qu’une information soit reconnue comme un « secret commercial » et bénéficie d’une protection juridique en cas de vol ou de divulgation abusive, elle doit répondre à certains critères. Il ne suffit pas de décréter qu’une information est secrète. Vous devez activement la traiter comme telle.

Un secret commercial peut être une formule, un procédé, une méthode, une compilation de données (comme une liste de clients) ou tout autre type d’information qui :

  1. Tire une valeur économique du fait de ne pas être connue du public ou des concurrents.
  2. Fait l’objet d’efforts raisonnables de la part de son détenteur pour en maintenir la confidentialité.

C’est ce deuxième point qui est souvent négligé. Ces « efforts raisonnables » peuvent inclure des mesures comme l’utilisation d’accords de non-divulgation (NDA) avec les employés et partenaires, la mise en place de contrôles d’accès physiques et numériques, le marquage des documents comme « confidentiels », et la formation du personnel. Sans ces mesures proactives, il sera difficile de convaincre un tribunal que l’information méritait le statut de secret commercial.

Il est aussi important de noter que tout n’est pas brevetable, et certaines de ces inventions non brevetables peuvent être des candidats idéaux pour la protection par le secret commercial. Au Canada, la loi exclut explicitement certaines catégories du champ de la brevetabilité. Les connaître est essentiel pour ne pas engager de frais inutiles :

  • Les idées abstraites : Les principes scientifiques, les découvertes, les théories mathématiques et les méthodes commerciales en tant que telles ne sont pas brevetables.
  • Le code informatique seul : Un algorithme ou des lignes de code ne sont généralement pas brevetables. Cependant, un programme peut le devenir s’il est intégré à un système et apporte une solution technique nouvelle et inventive qui modifie le fonctionnement matériel de l’ordinateur.
  • Les inventions non fonctionnelles : Selon l’OPIC, une invention qui ne fonctionne pas ou qui n’a pas de fonction utile ne peut être brevetée. Un mouvement perpétuel, par exemple, serait rejeté.

Pour les inventions qui tombent dans ces catégories, ou pour des savoir-faire spécifiques, le secret commercial devient la seule et unique ligne de défense. Comme le préconise l’UQAC, si une divulgation est inévitable avant un dépôt, elle doit impérativement se faire sous une entente de confidentialité écrite, formalisant ainsi une des mesures de protection du secret.

À retenir

  • Le processus de brevet n’est pas une formalité administrative mais une série de décisions stratégiques qui construisent la valeur d’un actif.
  • La confidentialité absolue avant le dépôt est la règle d’or ; le délai de grâce canadien est un filet de sécurité, pas une stratégie.
  • L’arbitrage entre un brevet (protection forte mais limitée dans le temps) et un secret commercial (protection potentiellement infinie mais fragile) est au cœur de votre stratégie de propriété intellectuelle.

La propriété intellectuelle, votre actif le plus sous-estimé : comment en faire une arme stratégique ?

Pour de nombreux inventeurs et PME, la propriété intellectuelle (PI) est perçue comme un centre de coût, une dépense légale nécessaire mais sans retour sur investissement direct. C’est une vision à court terme qui ignore le potentiel immense de la PI en tant qu’actif stratégique. Au Québec, où plus de 99% des entreprises sont des PME, savoir transformer son innovation en un actif tangible est un levier de croissance fondamental.

Un portefeuille de brevets bien construit va bien au-delà du simple droit d’exclusivité. Comme le souligne l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, détenir un brevet est un signal fort envoyé au marché. Il renforce la confiance des investisseurs et des partenaires, facilitant ainsi l’obtention de financement. C’est la preuve tangible que votre technologie a passé l’examen rigoureux d’un office gouvernemental et qu’elle est jugée nouvelle, utile et inventive.

Au-delà du financement, un brevet est une arme concurrentielle redoutable. Il agit comme une barrière à l’entrée, empêchant vos concurrents de copier votre solution et vous garantissant une suprématie temporaire sur le marché. Cette exclusivité vous permet de commercialiser votre invention avec des marges plus élevées et d’obtenir un meilleur rendement sur vos investissements en R&D. Les droits exclusifs conférés par le brevet peuvent également être monétisés directement par le biais de licences. Vous pouvez autoriser d’autres entreprises à utiliser votre technologie en échange de redevances, créant ainsi une nouvelle source de revenus passive.

En résumé, les avantages stratégiques de la constitution d’un portefeuille de PI sont multiples :

  • Droits exclusifs : Ils vous permettent d’utiliser et d’exploiter l’invention sans concurrence directe pendant une période pouvant aller jusqu’à vingt ans.
  • Avantage concurrentiel : Vous pouvez empêcher légalement des tiers d’utiliser, de fabriquer ou de vendre votre invention, consolidant ainsi votre position sur le marché.
  • Rendement des investissements : Le monopole temporaire vous permet de fixer des prix qui reflètent la valeur de votre innovation et de rentabiliser vos efforts de recherche et développement.

En fin de compte, la PI n’est pas une simple mesure défensive. C’est un outil proactif qui peut être utilisé pour attirer des capitaux, bloquer des concurrents, générer des revenus de licences et augmenter la valorisation globale de votre entreprise. La considérer comme un simple bouclier, c’est passer à côté de sa véritable nature : celle d’une épée.

L’étape suivante, pour tout inventeur sérieux, consiste à évaluer rigoureusement son invention à l’aune de ces critères et à planifier sa stratégie de protection avant toute divulgation. Commencez dès aujourd’hui à traiter votre innovation non plus comme une simple idée, mais comme le futur actif le plus précieux de votre entreprise.

Rédigé par Sophie Gauthier, Sophie Gauthier est une avocate et conseillère en propriété intellectuelle comptant 15 ans d'expérience dans la protection des actifs immatériels des entreprises innovantes. Elle est experte dans l'élaboration de stratégies pour défendre les marques, les brevets et les secrets commerciaux.